Résumé
de ma vie et de mon œuvre :
Fatoumata
KEITA épouse NIARÉ, je suis mère de trois garçons et d’une
fille. Née en 1977, de père technicien de génie rural et de mère
couturière alphabétisée par les bonnes sœurs, je suis l’aînée
de cinq filles et de deux garçons. Etant « le premier garçon
de mon père », et la première fille de ma mère (c'est-à-dire
celle qui va aider le père au champ pour revenir faire la cuisine),
très tôt, j’ai eu les yeux ouvert sur un monde où tous les
combats restent à mener par les femmes maliennes pour l’amélioration
de leurs conditions de vie. L’écriture m’a paru alors le
meilleur espace pour parler de la condition féminine.
Je
suis auteur d’une nouvelle (Polygamie gangrène du peuple, NEA,
1998) d’un roman, Sous
Fer
(Sahélienne/L’Harmattan, 2013), d’un essai, Crise
Sécuritaire et Violences au Nord du Mali
(Sahélienne 2014) et d’un recueil de poèmes, A
toutes les Muses
(Les éditions du Manden, 2014.)
Lauréate
du prix Massa Makan Diabaté 2015 de la Rentrée littéraire du Mali
et du 2ème
Prix du meilleur roman de l’Afrique de l’Ouest, j’ai à mon
actif d’autres manuscrits.
Réponses
aux questions
- Chère Fatoumata Keita, pouvez-vous en quelques mots nous dire quel est votre rapport à la langue française ? Est-ce votre langue naturelle, et entretenez-vous avec elle un rapport intime ? Ou, plutôt, comme l'a écrit naguère le poète algérien Kateb Yacine, le français est-il votre « butin de guerre » ?
Mon
rapport à la langue française est un rapport libéré, décomplexé.
La
langue française, puisque langue internationale d’une extension
plus grande, est pour moi une langue seconde, un héritage que mon
indésirable père m’a laissé. Elle est donc la suite d’une
histoire d’amour compliquée entretenue avec tact par le colon
et ses descendants avec son colonisé et ses héritiers dont je fais
partie. Mais puisqu’il faut toujours filtrer les choses, pour ne
retenir que ce qu’elles portent de potable, je considère cette
langue héritée comme un outil qui m’a permis et me permet encore
d’accéder à un type de connaissance. Elle n’est pas ma langue
naturelle. Je « ne bois ni ne mange » en français. Je
n’entretiens donc pas une intimité régulière avec elle. Elle est
tout simplement pour moi un instrument circonstanciel de
communication qui me met en lien avec ceux qui ne connaissent pas
mes langues maternelles (le Mandenka et le bambara). Elle me rend
surtout le service de peindre l’univers manding, en montrant le
cœur de l’Afrique afin que le dialogue s’établisse entre
celle-ci et le reste du monde. Cependant, j’aime m’exercer en
cherchant à savoir la langue dans laquelle je réfléchis lorsque
j’écris. Je me surprends toujours à m’apercevoir que je
féconde dans la langue française mais réfléchis dans la langue
Bamanan ou mandingue, mes langues maternelles qui ont participé à
ma construction identitaire.
Puisque
l’identité de l’être se construit à travers sa langue, un
anglais est à l’aise lorsqu’il décrit sa société et dit son
identité culturelle à travers la langue anglaise. Le linguiste
Emile
Benveniste a raison de dire que la langue est « l’interprétant
de la société. »
Mais pour nous qui avons une histoire particulière, si nos langues
maternelles peuvent mieux nous aider à interpréter notre identité
culturelle ainsi que nos réalités sociales, elles ne peuvent
permettre de véhiculer aisément celles-ci à travers le monde, car
ayant une extension limitée. Or, aujourd’hui, plus que jamais, les
peuples ont besoin de s’approcher, de se rapprocher davantage pour
communiquer, dialoguer, se connaître et s’aimer afin de s’ériger
contre le drame de la haine. Et l’écriture à travers une langue
de grande extension, comme la langue française, peut contribuer à
cet état de fait. C’est ce qui constitue l’essence de mon
rapport à la langue française, une langue de service pour
communier avec les autres, rapporter, raconter l’Afrique afin de
le rapprocher aux reste du monde. Ceci m’amène à faire une
gymnastique difficile consistant à récréer un univers qui n’est
pas français à partir de la langue française. Il me faut alors
garder à l’esprit, lorsque j’écris, les
dispositions linguistiques et stylistiques particulières de la
communauté culturelle mandingue et bamanan dont je suis issue. Et
quelques fois, comme Kourouma, je traduis en français ces
dispositions, sans aucun complexe.
Si nous, écrivains africains d’expression française, ne le
faisons pas, ce ne sont pas ceux qui ne comprennent pas nos langues
qui pourraient le faire. Et ça serait un gâchis pour l’humanité
si elle est privée des richesses que renferment d’autres
civilisations. Je pense que tout écrivain s’exprimant à travers
une langue étrangère peut être amené à passer par cette
gymnastique. J’ai lu une écrivaine italienne d’expression
française qui a écrit dans son œuvre, en signifiant dans une note
de bas de page, que le fait « d’être en espoir » est
ce qui s’appelle en français « être enceinte ». Les
peuples ont besoin de s’enrichir les uns à travers les autres.
En
intitulant mon premier roman : SOUS
FER
qui signifie excisé en langue mandingue, je fais savoir qu’il y a
une autre façon, chargée de sens dit et tu, de nommer l’excision.
Ainsi, pour moi, la langue française est une langue de rapportage
d’un univers pour lequel elle n’a pas été créée ; mais
cet univers pourtant la forge et la force à se revitaliser et à
évoluer en y insérant des particularités linguistiques qui ne sont
pas à priori siennes. C’est pourquoi si mon objectif premier avait
été d’écrire en français comme Malherbe ou Voltaire ou comme
tout écrivain français s’exprimant dans une langue française
orthodoxe et pure, je n’aurais jamais écrit. C’est dire que ce
qui m’importe est d’écrire l’Afrique des particularités et
tendances linguistiques, à travers la langue française.
Et
pour celui qui connaît la langue bamanan ou mandingue, où la parole
jaillit sans trop de conjonction de subordination, mais avec parabole
et concision, écrire un univers bamanan ou mandingue à travers une
autre langue, c’est être tenté de soumettre celle-ci aux
singularités de cet univers. Cela revient à certainement écorcher
celle-ci aux yeux des puristes. Mais, pour moi qui appartiens à la
génération décomplexée, il faudra passer par là pour un
enrichissement mutuel, même si m’adonner à cet exercice me donne
quelques fois une sensation de trahir mes langues maternelles. Car
une traduction fidèle n’est pas toujours réussie ; et
tandis que certains termes sont intraduisibles dans une langue
étrangère, d’autres, une fois traduits, perdent leur essence
première. Ce qui me fait parfois, lorsque j’écris, chanter ces
vers du poète haïtien Léon Laleau :
« Ce
cœur obsédant, qui ne correspond
Pas à mon langage ou à mes costumes,
Et sur lequel mordent, comme un crampon,
Des sentiments d’emprunt et des coutumes
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser, avec des mots de France,
Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ? » (Je dis du Mali ;)
Pas à mon langage ou à mes costumes,
Et sur lequel mordent, comme un crampon,
Des sentiments d’emprunt et des coutumes
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser, avec des mots de France,
Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ? » (Je dis du Mali ;)
Ma
gymnastique, alors se fait dans une certaine culpabilité ; mais
aussi dans l’espérance que cette distorsion ne nuise ni à la
beauté ni au génie d’une langue française trop rigide, trop
parfaite et pure.
- Être femme et écrivain, dans le monde actuel, est-ce facile ? Créer, c'est résister, disait encore Camus... Pensez-vous résister en écrivant ?
Etre
femme et écrivain dans le monde actuel n’est pas facile. Car le
monde même est masculin. Et pour des femmes comme nous, nous battre
dans un vestibule de gaillards ayant la tête au XXIe siècle et les
pieds au moyen âge, c’est encore difficile. C’est pour dire
tout simplement qu’être femme et écrivain est une chose, mais
femme africaine vivant en Afrique et écrivain en est une autre, car
chargée de contraintes encore plus lourdes. La plupart de nous,
femme africaines vivant en Afrique et versées dans la vie publique,
restons sous le quadruple poids social. Cette lourdeur, due à la
maternité, aux travaux ménagers (qui sont encore à la charge de
la femme dans un contexte où les machines à laver n’ont pas
encore fait leur apparition dans la vie du citoyen moyen), à
l’organisation des festivités communautaires (mariage, baptême,
funérailles) et à notre emploi, rend le travail de production
d’œuvres encore plus difficile. En outre, accoucher d’une œuvre
étant un acte qui se fait dans la solitude, lorsqu’on vit dans un
contexte de communauté, où le fait de vouloir s’isoler pour créer
est souvent vu comme un délit, un manque d’amour, de considération
et d’intérêt pour l’autre qui peut venir de façon inopinée,
c’est tout simplement pénible. Cependant, comme je considère
l’écriture comme un des rares espaces de libertés et d’audaces,
je me laisse porter par cette passion sublime qui submerge mon cœur,
en dépit des contraintes. Car l’écriture est le seul espace qui
me donne une liberté à nulle autre pareille. Liberté d’agir, de
réagir, de m’ exprimer, de démolir les murs des prisons dans
lesquelles on a tendance à vouloir nous confiner souvent. En fait,
pour moi, écrire c’est plus que résister. C’est subsister en
osant lever le ton, contredire le baron, le provoquer, le contrarier
allègrement, prendre position, s’engager constamment, défendre
une opinion sur un sujet et vigoureusement, s’affirmer,
revendiquer, proscrire, rêver, espérer une meilleure place dans un
monde masculin. Alors oui, en écrivant, je ne résiste pas
seulement. Je subsiste. Je subsiste en sachant que j’imprime ainsi
ma présence au monde. Je subsiste en disant les souffrances de la
femme, en disant ce que j’espère pour mon pays, en rêvant à une
place au soleil pour la femme, en donnant de l’espoir et de
l’audace à d’autres femmes, en montrant qu’un autre monde, un
monde meilleur, est possible. Et définitivement ! Alors,
puisqu’en écrivant, je m’offre des audaces et des libertés que
seule cette tribune me donne, je compte continuer, malgré les
contraintes. Car sans l’écriture, où pourrais-je trouver un
alibi pour avoir la liberté de me prononcer sur les sujets qui me
tiennent à cœur ?
III.
Mes livres de chevet :
- Les paroles cachées de BAHÀ ’U’ LLÀH (poésie mystiques),
« Pour
construire avec succès un monde nouveau, il faut que le cœur de
l’homme s’apaise, qu’il s’ouvre et laisse entrer en lui
l’amour divin, qui, seul, s’étend à toutes et tous. « Les
paroles cachées » apportent cet amour ; elles apportent
aussi la paix, la certitude et la force d’agir.
«
Ô fils de l’homme
Lorsque
survient la prospérité, ne te réjouis pas ; et si
l’humiliation t’atteint, ne t’afflige pas. Car toutes deux
passeront et disparaitront. » (52)
- Le piège de la parité (Argument pour un débat) textes réunis par Micheline Amar. Un extrait : « Rien de moins fascinant qu’un bonhomme en cette fin de siècle... ils ont un pied gravement planté dans un vieux monde de privilèges innés qui est en train de disparaître, et l’autre dans le vide : absolument largués. » Simone de Beauvoir citée par Régine Deforges dans son article Absolument Largués, page 51, in Le piège de la parité, Pluriel, aux éditions Hachettes Littératures, 1999.
- L’adieu est un signe de Joël Vernet.
Un
extrait : « La splendeur est telle ce matin dans le jardin
que mes chevilles foulant l’herbe font remonter jusqu’à mon
cœur la douce sensation d’être vivant sur cette terre, juste
pendant quelques secondes où la lumière semble éternelle. Le
soleil illumine les miettes sur la table qu’une fourmi s’emploie
à ramasser comme un butin. Mon esprit flotte dans l’air, chassant
ainsi toute inquiétude. Je rentre dans la maison avec un peu de
rosée sur les chevilles. Cette rosée est mon trésor du jour. »
L’adieu
est un signe, Joël Vernet, Page 16
- Et depuis toujours : Comment se faire des amis de Dale Carnegie.
IV.
Enfin, mes goûts :
J’aime
J’aime
les gens qui rient et qui répandent de l’humour autour d’eux.
Ils me font oublier mon état nerveux, mon angoisse existentielle,
les poids sociaux.
J’aime
toutes les couleurs(le jaune et l’orange en particulier) à part le
violet. J’aime ma chambre à coucher et mon lit. Car toute petite,
j’ai vécu dans une famille adoptive où je n’avais ni lit, ni
chambre à moi.
J’aime
manger de la volaille et du toh,
le bon gâteau arrosé de sauce gluante.
J’aime
lire les biographies, les romans historiques et les analyses, pour
comprendre par où les grands de l’histoire ont passé pour arriver
au haut du pavé.
J’aime
chanter la poésie, à haute voix, accompagné de son de Cora.
J’aime
avoir une vie pas trop longue car je n’ai pas encore saisi la
raison pour laquelle nous sommes sur cette terre où les angoisses
fleurissent plus longtemps que les sourires. Et je m’imagine mal un
jour édentée et affaiblie par l’âge, la peau ridée, sans force
pour courir acheter du pain à la boulangerie avant que mon eau ne se
chauffe.
Je
n’aime surtout pas que tout ce qui s’élève finisse par être
sous la terre, que tout ce qui s’illumine finisse par s’assombrir,
s’affaiblir avant de s’éteindre.
Je
n’aime tout simplement pas le caractère fragile de l’existence
humaine.
Fatoumata
KEITA NIARÉ
INTERVIEW
THIERRY RENARD POUR SON JOURNAL EN LIGNE, LYON/ France.
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LA POÉTESSE ET ROMANCIÈRE
FATOUMATA KEITA NOUS PARLE
Les femmes, avec la Biennale
des Lettres de Bamako, s’invitent à la danse.
Dans le passé Africain comme dans l’histoire de
notre pays,les femmes écrivaines ne se sont pas fait entendre autant
qu’on le souhaite. Pourtant ,il ya de très nombreuses femmes
intellectuelles qui ont marqué cette même histoire par leur
inlassable et téméraire lutte tant sur le plan syndical que sur
d’autres fronts : politique, associative et culturel dans sa
dimension musicale. Cependant, au milieu de ce grand vide, une femme
parce que malienne et pas des moindres vient d’impressionner
l’univers des livres à travers sa plume que l’on peut qualifier
de « plume féminine » en remportant successivement deux
très grands prix au sein du passage littéraire malien. Il s’agit
de Mme Niaré Fatoumata Keita qui fut en février et en mars dernier
portée au firmament de la littérature malienne et féminine par son
ROMAN »Sous fer » la lauréate du Prix Massa Makan
Diabaté de la RENTREE LITTERAIRE DU MALI et du 2ème
prix de la Première Dame du Meilleur Roman féminin initié par de
la BIENNALE DES LETTRES DE BAMAKO. Elle se prête à nos questions.
Le
combat :
- Mme Qui êtes-vous, vos études et votre carrière professionnelle ?
Keita
Fatoumata : «Je suis Fatoumata KEITA épouse Niaré, une femme
placée entre deux légendes, celle des KEITA et celle des Niaré.
Fatim pour les intimes, je suis Tata pour mes cadets.
Socio-anthropologue de formation, spécialisée en socio économie du
développement, je travaille encore au Tribunal pour enfants de
Bamako et suis en phase de mise à disposition ailleurs. J’ai fait
mes études à travers le Mali, le primaire à Faroko thé (Sikasso),
le fondamental à Kourouba, Ségou, Kayes et Koulikoro, le lycée à
Badala, puis la Flash et l’université Mande Bukary pour mon DEA. »
Le
combat :
2.
Comment avez-vous embrassez le métier d’écrivaine ?
Fatoumata
Keita : « Je ne suis pas écrivaine de métier, mais de loisir
et de passion. J’entretiens avec l’écriture et cela depuis mon
adolescence, une fabuleuse histoire d’amour qui m’enivre et
m’amène à passer des nuits blanches avec ma plume. J’ai
embrassée l’écriture spontanément quand on m’a envoyé dans
une famille d’accueil pour que j’aille poursuivre mes études,
parce qu’il n’y avait pas d’école fondamentale là où mon
père exerçait. Je griffonnais. Puisque j’avais quitté les genoux
de mon père pour me retrouver dans des conditions difficiles de vie,
j’étais très souvent triste. J’entendais souvent une voix qui
chantait en moi. Plus tard, je saurai qu’elle s’appelle
inspiration. Mon premier poème, une lettre en forme de poème que
j’adressais à ma mère date de 1989, et s’intitule: Ici chez eux
Maman. Je l’ai écrit quand j’avais treize ans et depuis, j’ai
compris que je venais d’avoir une amie, une confidente, une tribune
en l’écriture. »
Le
combat :
3.
Quelles difficultés pour quels réconforts tirez-vous de votre vie
de poétesse et de romancière ?
Fatoumata
Keita : « Les difficultés sont des difficultés de
temps, de pesanteur sociale. Le besoin de s’isoler pour écrire est
mal compris dans une société comme le Mali. Et l’écriture dans
son premier jet est un travail de solitaire. Ce qui fait que mes
nuits blanches sont nombreuses. Car pendant la journée, avec mon
emploi, le ménage, les enfants, les visites inopinées, le mari (que
je salue ici, pour sa patience et sa compréhension) c’est
difficile de produire. Il y a d’autres difficultés relatives à la
publication. Nous qui écrivons au Mali sommes confrontés à
beaucoup de problèmes : problème de publication, de diffusion,
de promotion, de distribution de nos œuvres dans plusieurs pays. Ce
qui fait que quand tu es publié au Mali, tes œuvres ne sont pas
accessibles partout. Mais qui reste porté par sa passion ne s’arrête
pas à mi-chemin, à cause des difficultés où des choses qui
mettent souvent le moral à zéros. Il faut croire qu’on peut
arriver jusqu’au bout de l’accomplissement de nos rêves, à
force de travail et de combats. On nous a fait croire qu’un
écrivain africain, pour qu’il réussisse doit s’installer en
France. Mais la France prend le jus et jette le résidu à la
poubelle. Nous avons donc choisi, nous d’autres, d’écrire en
renoncer à l’exil, étant à l’intérieur de nos terres. Parce
qu’en ce qui me concerne, je pense que si je m’applique à
l’œuvre avec rigueur, si je mets mon énergie avec celle de ceux
qui travaillent pour la promotion du livre, il est possible qu’on
arrive à quelque chose de potable. Oui il n’est pas impossible que
nous nous construisions étant sur place, tout en construisant notre
pays.
Le
réconfort qui sort de toutes ces difficultés surmontées ou
dépassées ou même à venir ( qui sait ?), c’est la
satisfaction qu’on a de parvenir à terminer l’écriture d’une
œuvre, c’est un enfant qu’on arrive à mettra au monde malgré
la douleur, qu’on tient dans la main après un accouchement
difficile, pour le présenter au monde ; c’est également de
voir les gens s’intéresser à cet enfant, pour le découvrir et
savoir ce qu’il renferme. C’est surtout des reconnaissances qu’on
n’attendait pas forcément et qui nous surprennent
Le
combat :
4.
Quels sont les différents prix littéraires que vous avez à votre
actif de nos jours ?
Fatoumata
Keita : « Je préfère commencer par les prix que
j’ai eus quand j’étais au lycée. Ils restent les plus
significatifs pour moi. Essentiellement constitués de livres
certes, mais ces prix m’ont permis d’avoir confiance en moi en
ce que je fais. Ils m’ont permis de me préparer en me formant à
travers les livres, en me forgeant à travers la lecture de ce que
les autres ont écrit. Ainsi au lycée, en 1992, j’ai eu quand
j’étais en 10e année, le 1er
prix de poésie du comité pédagogique de lettre du Lycée de
Badala, avec mon poème : Ma douleur. En 11eme, j’ai eu trois
prix de ce même comité avec trois de mes poèmes présenter à la
deuxième édition, en terminal, j’ai eu 6 prix avec six de mes
poèmes dont Laissez-moi-parler et aussi le prix de l’excellence
qui m’a été attribué par Monsieur Daouda Simbara, alors
directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche
scientifique. En 1997, quand j’étais à ma première année
d’université, j’ai eu le 1er
Prix de poésie avec mon poème Laissez moi parler, de l’émission
Jouvence Show qui mettait les écoles en compétition. Puis toujours
en 1997, j’ai a eu le 1er
prix de poésie de l’union des écrivains du Mali, en 2000 le 3eme
prix de Nouvelle de la Francophonie. En 2015, le Prix Massa Makan
Diabaté et le 2em prix de la première Dame du meilleur Roman
féminin. Je remercie tous les initiateurs de ces merveilleuses
opportunités qui ont été de nature à ce que je persévère dans
ce que je fais. »
Le
combat :
5.
Les jeunes écoliers ne lisent plus non plus ils ne peuvent écrire
pourquoi ?quels en sont les remèdes possibles selon vous ?
Fatoumata
Keita : « Je ne parlerai pas de façon aussi
radicale. Car je trouve que beaucoup d’écoliers lisent. Et il y en
a qui écrivent de belles choses aussi. Il faut juste repérer les
talents, pour les encourager, les motiver afin qu’ils soient
galvanisés. Comme mes maîtres du lycée l’ont fait avec moi.
Nous
auteurs passons dans les écoles. Et beaucoup de programmes destinés
aux élèves et étudiants leurs permettent d’avoir accès aux
livres pour lire. Je veux parler du programme des auteurs dans les
écoles initié par l’institut français, qui permet de mettre 80 à
100 livres à la disposition de 10 écoles/ par mois. Dans l’année,
dix auteurs passent dans les écoles, grâce à ce programme, pour
aller discuter avec les élèves ayant lu leurs ouvrages? Est-ce
rien ? Lors de nos passages, nous avons l’occasion de
constater tout l’intérêt que les élèves et étudiants ont pour
le livre et pour la lecture. Ensuite, il y a le programme de la
rentrée littéraire qui offre des livres, chaque édition, à 40
écoles de Bamako. Et les auteurs passent dans lesdites écoles pour
rencontrer les élèves qui ont lus les livres envoyés. Tous ces
programmes méritent d’être pérennisés et étendus au reste du
Mali. La biennale des lettres de Bamako n’est pas en reste. Ce sont
de merveilleux espaces qui viennent d’être crées au Mali. Et tout
ce qui est entrain de se faire à travers ces espaces doit être
encouragé et pérennisé. Pour cela, l’Etat doit davantage
s’impliquer. Les partenaires privés aussi : les banques, les
entreprises privées et autre… ont aussi un devoir à l’égard
de la société, pour l’épanouissement intellectuel, et
socio-économique et culturel des citoyens.
Il
faut reconnaitre que ce n’est pas juste d’accuser les élèves
et les étudiants de ne pas lire et d’être médiocres, dans un
système scolaire où les bibliothèques sont souvent inexistantes ou
peu pourvues de livres, où il n’existe pas de politique adéquate
pour la filière du livre. C’est un sujet sur lequel il faudra tôt
ou tard s’arrêter. Car la baisse du niveau des élèves et le
manque de lecture dans les écoles doivent nous interpeler tous. Nous
devons nous demander, chacun, ce que nous faisons réellement pour
que ça change positivement. »
Le
combat :
6.
Que conseillerez- vous aux autorités politiques et scolaires pour
rehausser le niveau de l’école et des élèves d’aujourd’hui ?
Fatoumata
Keita : «Il faut d’abord les saluer de ceux qu’ils font,
puis interpeller toute la société entière devant le problème de
l’école. Il est facile de se lever et de dire : « les
élèves n’ont pas de niveau. » Mais qu’investissons-nous
chacun pour qu’ils aient du niveau? Car dans cette histoire, il y a
tellement de choses à mettre en question : le niveau de
certains enseignants, la démission des parents, le laxisme des
autorités, la paresse des scolaires eux-mêmes, les conditions dans
lesquels les cours sont donnés, tous les manques que connait l’école
malienne. Quand j’ai commencé à prendre les cours à la FLASH en
1997, nous étions 477 en classes, avec un mauvais micro qui donnait
souvent mal à la tête. C’était difficile. Je crois que ça été
un miracle de pouvoir sortir avec un peu de connaissances dans de
telles conditions d’étude. Maintenant cet effectif est au
quadruple. Je ne pense pas que tous ceux qui disent que les
étudiants sont médiocres s’en seraient sortis couvert de lauriers
s’ils avaient étudié dans de pareilles conditions.
Alors,
je dis à tout le monde, pas seulement aux autorités, (elles ont
leurs enfants ailleurs, dans des pays où le système éducatif a
moins mal à la tête et au ventre) : investissons nous pour notre
école. Que chacun fasse ce qu’il peut, pour que les choses
changent positivement. »
Le
combat :
7.
Quel avenir, a le livre dans un monde aussi numérisé et
particulièrement dans un Mali de tradition orale selon-vous ?
Fatoumata
Keita : «Le livre aura toujours sa place tant qu’on
continuera à produire. Pour le moment, dans un pays où tout le
monde n’a pas accès aux nouvelles technologies, le livre numérique
n’est pas encore une menace. »
Et
pour moi, être d’un pays à tradition orale n’est qu’un
prétexte pour ne pas lire. Mais puisqu’on s’y arrête, nous
enregistrerons des extraits de textes pour les faire écouter alors !
Et on a déjà commencé avec la poésie.
Le
combat :
8. Les femmes remporteront-elles le challenge de l'écriture famine à travers la biennale littéraire qui veut faire de Bamako la capitale du livre ?
Fatoumata
Keita « Les femmes, avec la biennale des lettres,
s’invitent à la danse. Elles n’ont pas pris le train en retard,
comme le pensent d’autres. Elles ont pris tout simplement leur
train. Pour se faire entendre, pour promouvoir leurs œuvres. Je
remercie la première dame du Mali d’avoir pris l’initiative
d’attribuer un Prix pour le Meilleur roman féminin. Elle est la
Première première Dame qui fait une telle générosité à travers
toute l’Afrique et mérite d’être saluée. J’espère que
celles qui viendront après elle marcheront dans ses pas.
Il
y a une chose dont je veux parler, Faman. D’aucuns ont vu à la
Biennale, une rivale de la rentrée Littéraire du Mali. Il n’en
est rien. La biennale s’est d’ailleurs s’inspirée de la
rentrée. Il y a donc une complémentarité entre ces deux
évènements. Pas de rivalité. La preuve c’est moi qui sers de
très d’union entre ces deux évènements (ce qui a fait dire à
certains que j’ai ma bouche dans tout). Oui j’étais dans la
commission d’organisation de la rentrée littéraire du Mali et
dans celle de la biennale jusqu’à ce que je postule pour le Prix
de la Première Dame. Et puis dans bien d’autres … Eh bien à
ceux qui disent que j’ai ma bouche dans tout, je leur réplique
que je l’aurai encore dans tout ce qui concerne le livre, la
poésie, la lecture, la Plusique, la recherche et la promotion de
l’écrivain, tant qu’on sollicitera mon expertise, tant que
j’aurai de l’énergie pour ça. Et c’est mon affaire. Si on se
bat sur plusieurs fronts, c’est qu’on a encore de l’énergie.
»
Le
combat :
9.
Quels sont vos projets littéraires ?
Fatoumata
Keita « Continuer à demander à Dieu de me laisser vivre pour
que je puisse voir mes enfants grandir (il parait que je courtise
certaines expressions) et mon mari me chérir ; puis terminer
l’écriture des œuvres que j’ai commencée. Car j’ai quatre
livres en sentier.
Le
combat :
10.
Vos fans s’intéressent beaucoup à votre chevelure, pouvez-nous,
nous en dire plus ?
Oui.
Ceux qui ont depuis longtemps entrepris d’énormes campagnes de
diabolisation de l’homme noir, en faisant de tout leur mieux, pour
que le noir perde confiance en lui-même, en ce qu’il est, en ce
qu’il a et en ce qu’il fait, nous ont imposé un modèle :
le modèle occidentale. Ils nous ont fait croire que le modèle
standard de la belle chevelure est la chevelure longue et lisse. Et
nous, sans chercher à comprendre, nous les avons suivis. Nous avons
vite fait de défriser nos cheveux et chercher à les rallonger pour
qu’on la trouve belle. Et moi j’ai toujours eu des problèmes de
cheveux et j’ai mis du temps avant de l’accepter. Aujourd’hui
je l’ai compris et me dis tout simplement que je peux entretenir
mes cheveux en les laissant crépus et courts et ils seront autant
beaux que tout autre chevelure. Dans cette quête de moi, je suis
réconfortée par une vérité que j’ai envie de partager avec vous
mes sœurs, avec vous mes filles : nous sommes la seule race sur
la terre à avoir les cheveux crépus. Nous n’avons donc pas à
vouloir les lisser trop souvent pour nous laisser imposer un modèle
qu’on veut standard pour tout le monde. Parce que nous ne sommes
pas tout le monde. Alors je montre fièrement que les cheveux crépus
et courts peuvent être beaux. Que nous avons bénéficié de ce qui
est rare sur la terre. Et ce qui est rare est cher et précieux. Je
sais, les professionnels de l’esthétique vous diront de défriser
vos cheveux pour qu’ils soient malléables. Parce qu’il n’y a
pas de produits qui valorisent les cheveux frisés. Il est temps que
nous refusons ce qu’on nous a imposé. C’est comme ça que nous
aurons peut être des femmes scientifiques aux cheveux crépus qui
feront des recherches pour nous trouver des produits de beauté
adéquats pour ce type de cheveux.
Réalisée
par Abdoulaye Faman Coulibaly ; le combat
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Fatoumata
Keïta, écrivaine
«Tous les hommes ne
sont pas des démons»
En marge des
activités de la 5è édition de la rentrée littéraire, nous avons
rencontré Mme Niaré Fatoumata Keïta; poétesse et écrivaine
malienne, très connue auprès du grand public, notamment les fidèles
auditeurs de la radio Chaine II de l’ORTM, dans l’émission «Le
coin des poètes».
Appelée amicalement
«La fille rebelle du Mandé» par les auditeurs de cette radio, Mme
Niaré Fatoumata Keita nous parle de la rentrée littéraire, de sa
jeune carrière, prometteuse de femme écrivaine.
Aussi, jette-t-elle
un regard, avisé, sur les grands défis de la filière du livre dans
notre pays…
Info-Matin: Bonjour
Mme Niaré Fatoumata Keïta, que représente pour vous la rentrée
littéraire ?
Fatoumata Keïta: En
tant qu'auteure, je dirai que l’année dernière, les aspirations
des auteurs n’étaient pas tellement prises en compte. Cette année,
la rentrée littéraire a bien voulu accueillir un auteur parmi les
organisateurs pour être un peu en contact avec les autres
professionnels. C’est pourquoi, je suis là, ce matin en tant que
organisatrice au niveau de la rentrée.
Ceci dit, comme
auteure, je dirai que la rentrée, c’est le seul espace que nous
avons aujourd’hui pour faire vivre le livre au Mali. C’est un
espace de visibilité pour l’écrivain, vital pour la filière du
livre. Cela mérite d’être perpétué. Quelles qu’en soit les
insuffisances, moi je pense que c’est bien de recommencer après
une rupture. Nous allons tous mettre nos efforts dans le panier pour
que ça marche comme nous voulons. Et surtout, le thème de cette
année: «Osons réinventer l’avenir» est très évocateur. Je
pense qu’on doit s’approprier cette problématique qui nous vient
de Thomas Sankara.
IM: De plus en
plus, on ne lit plus. Pourquoi continuer à écrire malgré tout ?
FK:
Je ne suis pas pessimiste, parce que je ne dis pas qu’on ne lit
pas. C’est nous, la «génération foutue», qui ne lit plus. Il y
a un notre type de Malien qui est en train de clore. Parce que, j’ai
eu la chance de tourner dans les lycées avec l’Institut français
du Mali (ex-CCF), dans le cadre du Programme d’auteur dans les
écoles du CCF qui avait pour but de distribuer 100 livres dans dix
écoles.
Dans le cadre de ce
projet, 100 livres ont été achetés avec mon éditeurs pour que je
passe dans 10 lycées pour échanger avec les élèves. Et la mission
a constaté que dans ces 10 écoles, les élèves avaient,
effectivement, lu mes livres. Pour moi, c’est beaucoup. Après
cette expérience, je ne peux pas dire qu’on ne lit plus.
En plus, il y a un Club
de lecture au cœur du CCF animé par les jeunes universitaires qui
invitent tous les auteurs qui paraissent. Toutes les Facultés du
Mali sont représentées au sein de ce Club ainsi que les lycées.
Dans ce Club, ils prennent un livre qu’ils lisent. Ensuite, ils
invitent l’auteur à venir pour lui poser des questions.
Donc, je pense qu’il
y a des pas qui sont en train d’être faits au niveau de la lecture
au Mali. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Moi, je
vais toujours écrire, parce que, j’écris pour le Malien
d’aujourd’hui et celui de demain. C’est pour la postérité. Je
pense que le Malien de demain sera meilleur à celui d’aujourd’hui
du point de vue de la lecture. Ça dépend de ce que nous autres,
auteurs et éditeurs, tous ceux qui sont dans la filière du livre
auront apporté comme contribution pour la promotion de la lecture et
du livre.
IM: Quels sont,
aujourd’hui les défis de la filière du livre au Mali?
FK: Les défis,
c’est au niveau de l’édition, de la
librairie et toute la filière du livre. Quand tu écris aujourd’hui,
il faut mettre beaucoup de temps pour être publié. Je sais qu’il
y a beaucoup de Maliens, qui ont de bons ouvrages dans les tiroirs;
mais qui ont des problèmes d’édition. Il y a des problèmes
d’édition, de promotion du livre, de distribution. Il y a même
des problèmes de librairie. Dans un pays où la lecture est prise au
sérieux, il doit y avoir beaucoup de bibliothèques.
Au Mali, il nous manque
des librairies. Après tous ces défis, il y a le problème de
lecteurs. Donc, il y a toujours des efforts à faire pour les
problèmes de la lecture au Mali.
IM: Comment faire
aimer la lecture à la jeune génération?
J’ai déjà commencé
cela. Il deux ans que j’ai eu le projet d’un petit centre de
lecture. Pour le moment, j’ai 40 jeunes dans ma classe à qui
j’apprends à lire. Dans ce centre, nous avons 200 à 300 livres.
Les écoles qui sont proches du centre viennent pendre, souvent, des
livres chez nous. Pour cela, on exige pour qu'un livre sort, il faut
que son lecteur nous ramène un résumé dudit livre. Et en fin
d’année, on va donner un prix du meilleur lecteur à partir des
résumés que nous aurons reçus. Même si l’élève a pris 10
livres, il nous donne les résumés de ces 10 livres qui seront
soumis à la commission d’évaluation. Je pense que cette
expérience peut se transposer dans toutes les écoles , dans toutes
les communes, au niveau de toutes les villes du Mali. Cela peut être
un facteur de grande promotion pour le livre.
IM: Comment
Fatoumata est devenue écrivaine?
FK: Fatoumata,
c’est une personne qui a aimée l’écriture avant même le lycée.
Une élève qu’on a appelé «la fille rebelle du Mandé», par ces
poème qu’elle lisait sur les ondes de la Chaine II de l’ORTM,
chaque jeudi dans l'émission «Coin des poètes». Et Fatoumata
poétesse a évolué vers le roman. Mon premier roman est paru en
2013 et s’appelle «SOUS FER». Étymologiquement, ça veut dire
‘’Ka a Sigi Nèguè Koro’’, assoir sous fer, exciser. Ce
livre a posé la problématique de l’excision chez nous. Il met
aussi en exergue le contexte socioculturel dans lequel l’excision
est pratiquée dans nos zones rurales, puisse que c’est une
pratique très enracinée dans les traditions et les coutumes. Puis
qu’on a dit, et c’est vrai puisque ce sont les professionnels de
la santé qui le disent, qu'elle porte atteinte à l’intégrité
physique de la femme, c’est à nous de trouver les mots justes pour
le combattre. Des mots qui ne choquent pas. Car, sensibiliser ne veut
pas dire choquer, il s’agit de convaincre les personnes en touchant
à leurs points sensibles. S’il se trouve que les organismes et les
ONG qui luttent contre cette pratique ont des mots qui choquent dans
leurs discours, ça ne va pas marcher. C’est l’une des grandes
problématiques de l’excision que j’ai posé dans «Souffert».
Mes écrits sont très généralement des écrits de circonstances.
Toutes mes meilleures œuvres sont des œuvres de circonstance. Après
je suis allée vers l’essai. C’est à la suite de la crise de
2012 que je me suis dit, pourquoi ne pas écrire un livre sur les
types de violences perpétrées au Nord du Mali. Ainsi, est né
l’essai «crise sécuritaire et violence au Nord du Mali» qui fait
la typologie des différentes violences perpétrées sur les
populations au Nord du Mali. Ensuite, il y a eu le recueil de poèmes
dans lequel il y a mes poèmes d’adolescence et de jeunesse, des
poèmes datant de1989 où je n'avais que 13 ans.
De 1989 à maintenant,
vous voyez combien d’années j’ai fait pour avoir un éditeur.
C’est pour vous dire que l’écriture est une question d’amour,
une histoire d’amour entre l’écrivain et la plume. C’est aussi
une histoire de constance. Quand tu n’es pas constant, tu finis par
abandonner.
IM: Comment vient
l’inspiration chez Fatoumata ?
FK:
L’inspiration, c’est comme la cuisson qui déborde la marmite. Il
faut enenléver. Quand tu es inspiré, tu es comme possédé par le
diable. Quand je suis dans mon inspiration, je ne vois pas mon mari,
je ne vois pas mes enfants. Et au bout de cette inspiration, il y a
le brut qui sort, le premier jet. Et du premier jet jusqu’au
produit fini, il y a un chemin à faire. Avec mon prochain roman
«Quand les cauris se taisent», je suis à la 12ème
version.
IM: Quels sont
vos rapports avec les éditeurs ?
Avec les produits fini,
on va chez les éditeurs. Et c’est l’occasion pour moi de saluer
les éditeurs, même si j’ai trop souvent changé de maison
d’édition. Ça se comprend. Et de saluer tous ceux qui
s’intéressent au livre. Je veux parler des correcteurs. C’est
quelque chose de progressif, c’est comme une maison qu’on
continue à parfaire. Et finalement, le produit fini appartient à la
fois à l’écrivain et à son éditeur qui peut, lui aussi, faire
des propositions d’amendement. Entre éditeurs et écrivains,
c’est comme une histoire d’amour où il y a des hauts et de bas;
il y a des accrochages, des moments de conflits, mais on reste en
famille.
IM:
Ecriture-foyer-travail… Comment ça se passe ?
FK: C’est
vraiment difficile. C’est la volonté qui fait tout. Et puis, il y
a vraiment la compréhension de l’époux. Tu n’as jamais vu une
femme épanouie sans la compréhension de son mari, encore moins une
femme écrivaine. Si tu es toujours en conflit dans ton foyer, avec
ton mari, c’est difficile de trouver l’inspiration qui t’amène
à produire. Parce qu’en cas de conflit conjugal, tu as la tête
dans la résolution des problèmes du foyer et non dans le livre.
Donc, ça dépend beaucoup du mari. Moi je suis pour l’émancipation,
je fais tous ces discours pour la femme; mais je dis que tous les
hommes ne sont pas des démons. C’est grâce à eux que nous
évoluons.
Entretien réalisé
par Abdoulaye OUATTARA
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FATOUMATA
KEÏTA
: «La fille rebelle du Manden» (par Hélène Boucher)
Drôle d'oiseau que cette femme de lettres malienne dont on entend de plus en plus parler ! Depuis la parution de son tout premier roman, Sous Fer paru en janvier 2013 (Éditions L'Harmattan, collection La Sahélienne) récipiendaire du Prix Massa Makan Diabaté de la Rentrée littéraire du Mali 2015 et second prix de la Première Dame du meilleur roman féminin de la Biennale des lettres de Bamako,
l'écrivaine jubile. Fatoumata Keïta fait couler l'encre de sa muse depuis 17 ans, sans retenue, ni points de suspension afin d'avoir un écho auprès des politiciens et défendre les droits des femmes. Plein feu sur le parcours prolifique de celle qui s'est méritée le titre de «fille rebelle du Manden».
Porte-voix
de la femme malienne
Aînée
d’une famille de cinq filles et de deux garçons, Fatoumata Keïta
voit en la littérature une tribune idéale pour dénoncer les maux
dont les femmes sont victimes. Elle s’imprègne d'abord de
socio-anthropologie et socio-économie du développement. Un choix
évident, naturel, pour celle qui a toujours jeté un
regard
affiné sur la société malienne. Puis est venu ce moment crucial de
la post-adolescence où en plus de dénoncer les tares de la société,
elle a voulu l'écrire. Et avec véhémence ! Ses investigations
socio-anthropologiques sur la polygamie et l'excision lui ont permis
de nourrir ses œuvres littéraires. « Quand on se rend compte qu’on
a beaucoup de choses à dire, à dénoncer et qu’une vie ne suffira
pas pour le faire, on se met à écrire», explique-t-elle. À 20 ans
déjà, Fatoumata Keïta s'en prend à la polygamie, cette «gangrène»
pour la femme. Ses combats féministes socio-littéraires sont
multiples : droit à l'éducation, présence féminine accrue sur
l'échiquier politique malien, amélioration du statut économique,
allégement du poids social, fin des violences. Sa rébellion de la
vingtaine s'affine avec le temps, au gré de son évolution
personnelle. La polygamie ne lui conviendra jamais, prison dorée,
parure de dignité humaine, mais elle garde depuis le profil bas
devant les femmes qui adhèrent à ce mode de vie. Sur la question de
l'excision, elle s'affiche plus intransigeante. Elle revendique
l'abandon de cette pratique millénaire ancrée dans les traditions.
Son motif le plus percutant : le risque de mourir et les difficultés
d'accouchement engendrées par l'excision. Pour elle, nul besoin de
discours. «L'État doit avoir le courage politique de légiférer
contre la pratique de l'excision. Il donnera ainsi non seulement un
cadre opératoire de dissuasion et de sanction mais empêchera les
populations d’autres pays ayant légiféré contre cette pratique,
de venir soumettre leurs enfants à l’excision sur le sol malien»,
exprime l'écrivaine.
Mali
mon amour
Si
la littérature lui offre une tribune et un alibi pour parler des
choses qui lui tiennent à cœur, le Mali est son terreau de
prédilection. Porte-étendard des écrivaines maliennes
contemporaines, Fatoumata Keïta s'implique activement dans
l'organisation d'événements au pays. La poétesse, romancière et
nouvelliste a participé à l'avènement de la Rentrée littéraire
du Mali en février 2015, à Bamako, puis à la Biennale des lettres,
en mars 2015. Trois ans après la crise de mars 2012, frein à
l'expansion des arts et de la culture, l'écrivaine a travaillé
d'arrache-pied afin de réaliser un clip de poésie intitulé «La
nuit est tombée, le jour se lèvera» qui fera tabac sur les chaînes
radios et télévision Africable, « pour apaiser les cœurs des
Maliens et Maliennes affligés par la crise. » En 2014, elle
signe un essai intitulé "Crise sécuritaire et violences au
Nord du Mali" (La Sahélienne) et exprime sa poésie avec un CD
musical "Laissez-moi parler". Elle y extériorise sa
position sensible dans le conflit divisant encore le Mali, décrie
les violences perpétrées sur les populations du nord durant
l’occupation du septentrion malien suite à un travail soutenu
d'investigations. «Faire de la poésie musicale pour appeler les
cœurs à l’unité et à l’entente sur les questions essentielles
à la survie du pays» constitue son fer de lance. «Je fais encore
confiance à mes dirigeants, à la justice de mon pays. J’espère
encore que les auteurs de ses violences peuvent être retrouvés et
sanctionnés pour qu’on soit à l’aise d’œuvrer pour la
réconciliation», lance-t-elle avec optimisme. L'écrivaine a
collaboré l'an dernier à un ouvrage collectif sur les littératures
de résistances de 1914 à 2014, Guetter
l’Aurore aux
Éditions la Passe du vent.
À
force d'écriture et de combats, Fatoumata Keïta se profile comme
l'une des écrivaines d'Afrique occidentale les plus en vue du 21e
siècle. Plusieurs événements littéraires d'envergure l'ont déjà
accueillie dont le Festival Étonnants Voyageurs du Mali en 2002,
puis à Brazzaville en 2013. L'Europe lui a également tendu les bras
avec la Fête du livre de Bron en France. Son rayonnement hors Mali,
elle le doit en grande partie au travail acharné de l'Association
Malira, une association française qui œuvre pour l’implantation
des bibliothèques au Nord du Mali et la promotion des auteurs.
Admiratrice de femmes militantes pour les droits de la personne
telles que l'afro-américaine Angela Yvonne Davis et la politicienne
libérienne
Ellen Johnson
Sirleaf,
elle souhaite d'ailleurs poursuivre ses luttes «à l’intérieur de
sa terre». La popularité, oui, mais pas au prix de quitter sa chère
patrie. La muse malienne se remémore sa mère, femme non-scolarisée
qui a su dire non à l’excision pour ses filles.
Bibliographie
Polygamie
Gangrène du Peuple : NEA 1998.
Sous
Fer : Roman, Sahélienne/L’Harmattan, Bamako, Paris 2015.
CD
de poésie: Laissez-moi parler, Bamako 2014.
Crise
Sécuritaire et Violences au Nord du Mali : Essai, La Sahélienne,
Bamako 2014.
A
toutes les Muses : Poésie, Les éditions du Mandé, Bamako,
Paris 2014.
Guetter
l’Aurore,
Ouvrage Collectif sur les littératures de résistances de 1914 à
2014, Édition la Passe du vent, Lyon 2014.
Publié
dans Amina numéro 541- Mai 2015